Avant de continuer votre lecture, levez le nez, et regardez l’espace autour de vous.
Vous vous trouvez vraisemblablement à l’intérieur. Comment devinons-nous cela ? Et bien parce qu’aujourd’hui, la plupart des gens passent près de 90 % de leur vie à l’intérieur de bâtiments. De plus, il est également probable que la plupart des objets qui vous entourent et les éléments qui constituent la pièce où vous vous trouvez soient fabriqués par l’homme ou conçus par un créateur humain. Avez-vous déjà réfléchi à la façon dont cet environnement influence vos sentiments, vos pensées et vos comportements ?
L’artiste Guillaume Bottazzi a consacré une grande partie de son travail à redessiner des aspects de notre environnement. Il réalise cela non seulement en créant des objets tels que des œuvres d’art en 2 ou plusieurs dimensions, qui peuvent devenir partie intégrante de l’environnement, mais aussi par des interventions qui changent l’apparence de notre environnement à grande échelle. De telles interventions influencent entre autres choses notre perception et notre appréciation de ces environnements — Et plus encore ! par exemple, ce que nous ressentons !
Voilà comment l’art de Guillaume Bottazzi est perçu à travers le prisme de la psychologie. Mais pourquoi aborder son art, ou n’importe quel art d’ailleurs, d’un point de vue psychologique ? La psychologie est la science de l’esprit et du comportement. À ce titre, elle tente de comprendre ce qui fait de nous ce que nous sommes en tant qu’individus et communautés, ce qui nous pousse à agir et ce qui nous paralyse, ce qui nous incite à créer, ce qui nous fait désirer et ressentir, et d’où viennent nos joies et nos peines. Une somme importante de qui nous sommes et de ce que nous ressentons est directement liée à nos interactions avec notre environnement ; et plus précisément à la façon dont nous nous façonnons et dont nous existons dans notre environnement proche.
La psychologie pratiquée aujourd’hui est essentiellement une science empirique basée sur des données prélevées au cours d’expériences visant à vérifier et à prouver des théories psychologiques. Par conséquent, dans le cadre de notre pratique en tant que chercheurs en psychologie, nous effectuons souvent des expériences en laboratoire et sur le terrain ou des observations systématiques, et nous recueillons des données qui affirment ou infirment les hypothèses qui guident nos études. Beaucoup de choses ont été révélées sur le fonctionnement de l’esprit humain et du cerveau après plus de 150 ans de recherches. Si l’art concerne l’émotion humaine et la raison, ou a trait à la façon dont les humains se voient et voient le monde autour d’eux — et nous en sommes convaincus — alors la psychologie peut contribuer à mieux comprendre la manière dont l’art en général, et l’art de Bottazzi en particulier, est vécu.
À la fin du XIXe siècle, lorsque la psychologie fut établie en tant que discipline académique, la plupart des recherches portaient sur la perception sensorielle. Suivant la tradition d’Herman Helmhotz et d’autres grands physiologistes de l’époque, les psychologues souhaitaient mesurer le côté intime d’actes de perception simples : comment la lumière atteignant l’œil se traduit-elle en une expérience sensorielle ? Quel effet cela produit-il ? Cette expérience subjective est-elle effectivement liée à la quantité et à l’intensité de la lumière ? Le fait de pousser plus loin ce genre de questionnements a produit un axe de recherche très intéressant. Ainsi, un bon nombre de prouesses et d’astuces utilisées par l’esprit humain pour comprendre le monde a été dévoilé. Un bon nombre de préjugés, de contraintes et de limites qui aident l’esprit à gérer la vaste gamme d’informations et d’événements qui se déroulent autour de lui a également été repéré. Quelques-unes de ces prouesses et de ces contraintes s’associent afin de doter les humains d’empan de mémoire, d’une capacité d’attention limitée ou d’une constance perceptive de la couleur et du regroupement visuel, parmi plusieurs autres exemples possibles. Cependant, une tout autre tradition vise à comprendre des expériences perceptives beaucoup plus complexes, comme l’appréhension d’images, d’œuvres d’art ou encore du cadre complet et complexe de notre environnement tel que nous le percevons. Au XIXe siècle, les fondateurs de la « nouvelle science » de la psychologie avaient déjà préconisé cette approche, mais pour de nombreuses raisons, son essor fut beaucoup plus lent. Bien qu’une science de la perception de l’art soit désormais établie en psychologie , la perception et la compréhension de notre environnement n’ont que récemment pris une place de choix en psychologie.
Que savons-nous sur la perception de notre environnement ? Nous savons que des images représentant un paysage de bord de mer, une forêt ou un environnement anthropique peuvent être identifiées en un seul coup d’œil, même lorsque celles-ci sont présentées aux personnes pendant à peine 1/10e de seconde . En ce qui concerne les préférences données à certains environnements, nous savons que la nature est particulièrement appréciée si celle-ci est perçue d’un point de vue sécuritaire et dissimulé, et qu’elle offre une vue d’ensemble et la possibilité de l’explorer davantage . Il est également connu que les personnes préfèrent invariablement les paysages naturels, aux scènes urbaines.
Cette dernière constatation est particulièrement frappante, parce que nous passons l’essentiel de notre vie dans des espaces fabriqués par l’homme. Si vous pensez à votre routine quotidienne et à celles de vos proches, vous constaterez facilement que les habitants des pays occidentaux n’ont que très rarement un contact direct avec une nature préservée. Pourquoi aussi peu d’études ont-elles été menées pour comprendre comment les environnements conçus et créés par les humains influencent nos vies et nos sentiments ? C’est l’un des mystères de notre domaine de recherche. Ceci est difficilement compréhensible, car même le bon sens suggère que la conception et la création de milieux de vie pourraient bénéficier des connaissances que nous avons sur la façon dont les gens perçoivent et évaluent les différentes alternatives, et même de ce à quoi devraient ressembler les espaces de vie.
Cependant, une chose est très claire : les personnes interrogées réagissent aux aspects des objets et des lieux, et parmi ceux-ci ressortent des dominantes visuelles de base. Les psychologues, et les philosophes avant eux ont longtemps cherché les éléments visuels de base qui guident nos préférences et influencent nos sentiments et notre bien-être.
Alors, existe-t-il des règles générales qui pourraient prédire ce que la plupart des gens vont aimer ? Ce qui ressort le plus souvent des recherches réalisées est le fait que les courbes influencent les réactions esthétiques. Les individus préfèrent les objets arrondis aux objets pointus . Ceci a été démontré en design automobile, où une conception arrondie est souvent plus appréciée ; et il paraîtrait même que le goût et la mode agissent également sur ces préférences. De manière plus systématique, il a été démontré que lorsque des images d’objets tels que des montres, des canapés, des jouets, etc. sont présentées sur un écran d’ordinateur pour un temps très bref, alors les versions des objets aux lignes arrondis sont beaucoup plus appréciées . Dans une étude de suivi, ces chercheurs démontrent également que la préférence affichée pour les formes courbes est liée à une activité plus faible des régions du cerveau pouvant être associées à la peur . Donc, les formes arrondies pourraient être préférées parce qu’elles semblent moins dangereuses, ou tout simplement parce qu’elles sont intrinsèquement attirantes . L’idée que la courbe soit une ligne primitive esthétique confirme les revendications des philosophes depuis le XVIIIe siècle. Burke par exemple, croit que la beauté est lisse, sans rebords ou angles fermés. À cet égard, le travail de Guillaume Bottazzi illustre parfaitement l’utilisation de ces dominantes de base qui suscitent automatiquement du plaisir, sans doute inconsciemment, et qui attirent l’œil. Comme beaucoup d’artistes, il utilise intuitivement ces principes et produit ainsi des doses visuelles de plaisirs sensoriels.
Cette photographie de l’exposition de Bottazzi au Musée d’Art International Miyanomori (MIMAS) en 2011 présente également un contraste net entre les formes du travail artistique et celles des principaux éléments architecturaux, tels que les cadres, le plafond, les différents angles droits. La présence d’éléments rectilignes n’est jamais bien loin… regardez à nouveau votre espace de vie actuel.
Alors la question se pose : l’architecture pourrait-elle être une exception à notre préférence marquée pour les courbes ? Pour répondre à cette question, avec un vaste réseau de collègues du monde de la psychologie, de la neuroscience et de l’architecture, nous avons mené une étude dans laquelle nous demandions aux participants de regarder des images soigneusement sélectionnées d’espaces architecturaux intérieurs plutôt modernes. Nous leur avons demandé d’évaluer chaque espace intérieur, et pendant cet exercice, nous avons enregistré leur activité cérébrale à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Nous avons examiné « comment une variation systématique des formes impactait les jugements esthétiques et la décision de rejet, mesurant à la fois les résultats de l’intérêt des architectes et des utilisateurs d’espaces. » (p. 10446)
Les personnes qui ont participé à notre expérience ont trouvé les espaces intérieurs aux formes courbes beaucoup plus beaux que ceux composés principalement de lignes droites et d’angles, comme pour les autres domaines esthétiques mentionnés plus haut. Les résultats d’imagerie du cerveau ont montré que le fait de regarder des pièces aux formes arrondies augmente l’activité du cortex cingulaire antérieur, une région du cerveau connue pour ses réactions à l’importance émotionnelle et aux aspects gratifiants des objets. Nous avons également pu démontrer que l’évaluation de la beauté par les participants et leur activité cérébrale à ce moment-là était essentiellement caractérisée par la douceur. De ces résultats, nous avons conclu que « les effets prouvés qu’exercent les formes arrondies sur la préférence esthétique s’appliquent aussi à l’architecture. En outre, l’association de données comportementales et neuronales probantes souligne le rôle qu’occupe l’émotion dans notre préférence pour les objets curvilignes dans ce domaine. » (p. 10446)
Ainsi, même en architecture les courbes et les formes arrondies suscitent des sentiments agréables qui génèrent une plus grande appréciation de la beauté des conceptions architecturales présentant de telles caractéristiques visuelles. Il s’agit ici d’une conclusion déterminante pour deux raisons. Tout d’abord, l’on croyait que cette préférence était principalement liée aux objets qui pouvaient être manipulés et touchés. Nous savons désormais que cette préférence s’étend également aux espaces qui nous entourent. Deuxièmement, la plupart des espaces architecturaux dans lesquels nous vivons ne présentent pas de formes arrondies. Cependant, l’art a le potentiel d’apporter cet élément. C’est ce fait l’œuvre de Bottazzi. Les exemples de la Figure 2 démontrent comment des bâtiments aux formes rectilignes et cubiques sont dissimulés par les peintures murales de Bottazzi. Celles-ci recouvrent non seulement les façades de couleurs, mais elles transforment également l’aspect de la structure, la rendant plus agréable avec ses arrondis et ses courbes très esthétiques.
À cet égard, les projets de Bottazzi font partie d’une longue tradition de peintures murales utilisées pour créer des illusions qui ne correspondent pas à la structure physique sous-jacente ; comme on peut le constater dans l’architecture baroque ou le mouvement Art déco espagnol, plus connu à travers les œuvres de Gaudi, par exemple. Toutefois, l’étude de la conception de notre environnement pourrait bénéficier de ces connaissances, de ces recherches et de ces éléments connus qui affectent les gens dans leur cadre de vie.
Ainsi, la perception de l’art et de l’architecture d’un point de vue psychologique révèle que les deux domaines produisent des objets fascinants qui nous procurent au quotidien et partout où nous allons un plaisir en raison de leur beauté et de leur esthétisme. Si nos conclusions sont justes, alors vous devriez également être en mesure de recevoir de petites doses de plaisirs en regardant ou en vous laissant submerger par les oeuvres d’art de Guillaume Bottazzi.
Helmut Leder et Marcos Nadal
Université de Vienne – Faculty of Psychology Department of Basic Reasearch and Research Methods
Helmut Leder et Marcos Nadal sont les auteurs d’une recherche de 10 ans intitulée « Les effets de l’art sur le cerveau ».
Guillaume Bottazzi
Site officiel de l’artiste visuel Guillaume Bottazzi.
Présentation d’œuvres d’art, expositions, art environnemental, actualités. Guillaume Bottazzi a réalisé près de 100 œuvres dans l’espace public. Les images sont la propriété de l’artiste. Ceux qui souhaitent copier des images peuvent contacter : ADAGP Paris – © Guillaume Bottazzi